Concours « Bonnes nouvelles des Bauges » de Radio Alto – édition 2024.
Contrainte : la nouvelle doit se passer dans le Massif des Bauges ou dans ses piémonts et comporter le mot : « Le pot aux roses ».
Je klaxonne un coup. Ça fait un peu désordre à 7 heure du tam’, mais on est paumé dans les hauteurs de Thoiry, ça va vous allez pas commencer à me gonfler.
Je coupe le moteur. James ne va pas tarder à arriver, mais avec ces bagnoles élec on est jamais trop prudent. On a du déniv’ à enquiller aujourd’hui, faut tâcher d’économiser la batterie tant qu’on peut.
James sort enfin, le sourire aux lèvres et une rose à la main. Comme tous les jours il me l’offre. Marrant ce type, il sait que je suis pas de la jaquette qui flotte mais il continue d’essayer. Son opiniâtreté me touche. J’accepte ses fleurs avec un plaisir dissimulé. Faut pas déconner non plus. Je les jetterai ce soir avant de rentrer, j’ai pas envie que ma go ne découvre le pote aux roses, elle pourrait être jalouse même si… bon.
Merde, en voyant James enlever sa veste rose je m’aperçois que j’ai zappé la mienne. Ça fait deux mois que la brigade Copain comme Cochon a adopté ce nouvel uniforme. Un pied de nez à notre surnom les potos roses. On doit beaucoup aux cochons, je sais. La généralisation des greffes de cœur porcin chez l’humain a fait tilt, je suis bien placé pour vous le dire. À présent, personne ne peut plus aligner des boniments pour justifier les traitements ignobles qu’on faisait subir à nos copains cochons. La prise de conscience de la sensibilité animale a fait office de point de départ, les usines à bestioles ont été interdites, puis ce fut le clap de fin pour tous les élevages, même ceux à ciel ouvert. Notre brigade a donc hérité de son blaze en l’honneur de ces pionniers à la corne fendue, notre magnifique veste rose est sensée être le symbole de la fraternité inter-espèce… mais les cochons sont pas tous roses merde !
On sort de Thoiry. On entre dans la grande réserve des Bauges. Sur le bord de la route, plusieurs pickups sont arrêtés, des préleveurs du dimanche en veste orange.
L’interdiction de l’élevage a libéré un sacré paquet d’espace. On s’rendait pas bien compte à l’époque, mais plus de 70% des terres arables, c’était pour engraisser le bétail. On a transformé ces coins-là en réserves naturelles de chasse. Maintenant, on bouffe plus que ce qu’on traque, et les prélèvements dans les réserves sont réglés avec un quota de bracelets par citoyen. Cette nouvelle conscience éthico-écolo-logique nous a permis pour la première fois dans l’histoire de devenir tous flexitariens. Y’a pour sûr toujours des animaux-tortionnaires qui continuent à élever leurs bestiaux en cachette. Et c’est à nous, la brigade Copain comme Cochon, qu’est confiée la mission de les débusquer.
Un indic m’a rencardé sur un habitant d’Aillon-le-Jeune qui mettrait beaucoup trop de restes de viande dans le compost collectif. Ça attire les nuisibles, c’est pas bien. Et, avec un régime flexitarien réglementé par les quotas de chasse, ça ne doit en principe pas arriver. C’est louche.
James frappe à la porte du gus susmentionné. Un jeune homme, la vingtaine, ouvre.
Nous laissons pas le temps au type de répondre et entrons.
Apeuré, notre hôte, tout tremblant, s’exécute. Nous le suivons à l’intérieur d’une maison spartiate. James vide le compost sur la table :
Je sors mon pétard et le fourre entre ses yeux.
Il délire le pov’ type. Après la menace de finir en zinzin psychiatrique, le cornichon passe à table et nous livre sa chaîne d’approvisionnement. Un baraquement situé à la Compote.
Vroum, vroum. Nous arrivons sur les lieux. Un mioche est en train de charger des caisses dans un vieil utilitaire. Nous profitons d’un moment de pause pipi pour nous faufiler en douce par derrière. Je sors mon shlass et pique un coup dans un des colis. Je le ressors. Ça pisse rouge. Je lèche. Du sang de veau peut-être. On a mis le grappin sur notre marchand. L’autre balance nous a pas mené en bateau, tant mieux pour lui. Nous montons une planque vite faf dans les fourrés et décidons d’attendre la nuit.
Un car arrive. Une vingtaine de jeunes hommes en descendent. Il fait nuit. Quelques personnes quittent les lieux. Mais le car est toujours là. Tant pis, on rentre. Je commence à me cailler les miches.
James force une porte sur le côté. Directement une odeur d’abattoir me retourne les tripes. Peu de gens connaissent encore cette odeur insupportable, on est bien au-delà du stade de l’andouillette. Malheureusement, nous, cette odeur on la connaît toujours.
Aucun bruit, bizarre. Où sont tous ces jeunes types ? Nous explorons le baraquement à la lampe torche. Nous pénétrons dans ce qui ressemble à un atelier de découpe. Niveau hygiène impec ! C’est des pros, sols antidérapants, murs imputrescibles, plans de travail facilement nettoyables, ventilation, rideaux de séparation.
Après avoir scruté une chambre froide, vide. Nous arrivons dans un grand hangar. Au milieu, une grande toile recouvre une forme oblongue. James tire le tissu et découvre un poteau rose caché dessous.
Clic, le bruit d’une porte qui s’ouvre. James stoppe net ses théories et se glisse sous la toile, moi je saute derrière un carton.
La lumière s’allume, j’aperçois deux bon gros golgoths habillés en agents de sécurité pénétrer dans le hangar. Merde, Tic et Tac sont armés, ils furètent les lieux leur pétard à la main. Tic s’approche de la toile, la soulève et découvre mon poto rose, James, planqué derrière le poteau rose.
Ça commence à sentir le roussi cette histoire, j’enlève la sécurité de mon glock et m’apprête à intervenir mais Tac calme le jeu direc.
Merci de poser la question James car Mesdames et messieurs, voici maintenant le pompon de la pomponnette.
Ayant enfin découvert le pot-aux-roses de cette histoire, je sors de ma cachette pour écourter les boniments de nos écureuils.
Tic et Tac se retournent vers moi, pas surpris pour un sou.
Décidément ces écolo-cannibales chrétiens ont une logique implacable. Ah, si tout le monde voulait bien se donner la peine de se réguler, on n’en serait pas arrivé là.